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Le Nouveau Deluge

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spadiekitchenqueen's avatar
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La terre est sèche sous nos pas. Les plantations sont mortes, cuites sur pied par le vent permanent, brûlant comme à la sortie d'un four. Le sol n'a même pas craquelé, il a cuit, transformant ce qui fut une belle terre arable riche et féconde en un sable grisâtre qui nous fouette le visage, nous forçant à plisser les yeux. Les trois jeeps sont à quelques centaines de mètres de distance, les outils de mesure brillant au soleil tandis que les hommes les déplient, échassiers d'aluminium et de verre qui ne feront que confirmer ce que nous pressentons déjà.
C’est la fin. Il n'y a plus rien à sauver ici.
Dans notre jeep se trouve la fille d'un des scientifiques, une gamine décharnée aux yeux bien trop graves pour son âge. Il l’emmène partout avec lui depuis qu'il est veuf. Tant d'entre nous ont perdus des êtres chers. La faim, la soif, la maladie. Ce monde meurt, et nous avec.
Je la regarde du coin de l’œil comme à mon habitude et elle me rend furtivement la pareille. Je crois que nous nous intimidons mutuellement. Elle reste silencieuse, prenant garde à ne jamais gêner. Son nom? Il n'a pas d'importance. Pour tous, elle est la Petite, comme le fils d'un autre membre de l'équipe est le Gamin, les derniers enfants nés d'un monde agonisant.
Les autres la traitent avec un mélange d'indifférence feinte et d'affection bourrue, partageant avec elle les rares gorgées d'eau qu'ils obtiennent de leurs extracteurs en fin de vie. Ils lui parlent du passé, d'une époque où le blé poussait vert et dru, où les forêts étaient autres choses que ces cimetières froufroutants, avec cette maladresse émouvante des hommes qui n'ont pas connu autre chose que cette vie sur les routes.
Le ciel n'est plus bleu depuis bien longtemps. Noyé de poussière en permanence il est normalement d'un blanc sale, mais les volutes qui montent nous inquiètent tous. D'un noir rougeâtre, elles s'étendent de part et d'autre du ciel telles des griffes fuligineuses, assombrissant l'horizon.
Du mouvement, soudain, dans la première jeep, puis dans la seconde, tandis que nos machines aussi commence à bourdonner, puis à hurler de toute leur force mécanique.
Le feu.
Ce qui nous entoure, c’est le feu, venu de toutes parts.
Les talkies walkies crépitent, les ordres fusent. La ville d'où nous venons est condamnée, sûrement déjà dévorée par les flammes. Notre seule chance est ce groupement de fermes un peu plus loin, ces quelques agriculteurs qui nous ont payé pour les relevés que nous effectuons, espérant contre toute attente que nous pourrions leur donner de l'espoir.
Le ciel s'assombrit de plus en plus tandis que nous fonçons, pied au plancher. L'air est irrespirable, lourd de suies grasses et collantes.
Sans ralentir les jeeps se séparent, une dans chaque ferme. Tenter de prévenir les habitants? Inutile: s'ils n'ont pas déjà compris, il est trop tard pour eux.
Notre jeep rebondit sèchement sur ses essieux tandis que nous entrons dans une des étables, juste à temps pour voir un taureau fou de rage et de terreur encorner son propriétaire, traversant sa poitrine de part en part. Le corps désarticulé disparait sous les sabots du troupeau. Une fin en une poignée de secondes.
La Petite ne hurle même pas. Même si elle l'avait fait, je doute que nous aurions pu l'entendre dans le vacarme ambiant.
Le vent de flammes siffle autour de la grange, les animaux hurlent. Nous descendons de la Jeep, et ramenons les chevaux dans les boxes. Ce sont des bêtes magnifiques, de lourds Clydesdales dont la confiance en l'homme est telle qu'il s'apaisent dès lors que nous saisissons leur licou. Ils sont sûrs que nous les sauverons. J’aimerais avoir la force de leur certitude.
Nous attendons, muets et impuissants. La Petite est debout à coté de son père, la petite poigne invisible dans la grande main burinée. Le feu nous encercle... Puis nous épargne. La chaleur d'enfer persiste toute la nuit, mais par je ne sais quel miracle... Les flammes n'ont pas dévoré cette ferme, ou les deux autres. Les talkies walkies ont crépité une dernière fois, porteurs de cette nouvelle, avant de s'éteindre. Alors seulement nous pleurons. Dans la grange enfin silencieuse, dans cette atmosphère lourde de terreur, le sommeil s'installe, bercé par un bruit que nul n’avait entendu depuis des années. La pluie.
Deux jours ont passé. La pluie tombe toujours, ruisselant sur une terre trop assoiffée pour réussir à la boire. Nos outils de mesure cliquettent doucement, nous offrant relevé après relevé, bien trop tard, les réponses que nous avions attendu si longtemps.
Nous nous sommes tous réunis. Il nous faut établir un plan. Nous n'avons vu aucun survivant, mais il est certain qu'ils viendront. L'avis général est clair. Il nous faudra nous défendre. Les fermes se doivent d'être protégées. Le bétail, les semences, la Petite et le Gamin. L'espoir d'un futur.
Nous travaillons, sans relâche. Les barbelés s'élèvent. Nous apprenons à nous occuper des bêtes. Les granges débordent de foin, de paille, de grains. Les fermiers pressentaient ils ce qui allait se passer? Nous n'en saurons rien.
Nul ne vient, malgré nos craintes. Nuit et jour, nous travaillons, bercés par le bruit de la pluie sans fin. Les machines ont parlé.
400 jours et 400 nuits. Le Nouveau Déluge. le Nouveau Monde.
Une petite flash fiction inspirée d'un rêve que j'ai fait la nuit dernière. (Mon inconscient est un fatras cosmique sans nom)

Ce n’est pas grand chose, mais si c’est le signe que ma muse revient enfin, je suis heureuse

Bonne lecture et comme d'habitude, commentaires plus que bienvenus :iconifeelfluffyplz:
© 2014 - 2024 spadiekitchenqueen
Comments32
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BelphegorDeLEsip's avatar
Excellent texte d'ambiance. Onirique, pour ne pas dire cauchemardesque, il n'a rien de réaliste, et on le lui pardonne, car cela n'empêche pas le message de passer, et de bien passer.
:clap: