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Un roti de Cupidon

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Daily Deviation

Daily Deviation

March 8, 2014
English version here: A Cupid's roast.

As the suggester notes, a perfect story for anyone who has wanted to tear the wings off a Cupid. Un roti de Cupidon by spadiekitchenqueen
Suggested by DameOdessa
spadiekitchenqueen's avatar
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Literature Text

"Patron.. je suis pas sûr que ça soit une si bonne idée..."

Un bruissement d'ailes presque froufroutant sur sa gauche le fit se retourner d'un bond, mais il ne put percevoir qu'un bref mouvement du coin de l'oeil. Ils étaient rapides, bien trop rapides. Jamais le vieux ne réussirait. De nouveau ce bruit soyeux, semblable à des ailes de tourterelles, mais bien plus proche. Dans son esprit il pouvait les voir, tournant au dessus de sa tête comme autant de vautours prêts à la curée.

"Patron!"

Le bruit assourdi des détonations résonna et tout autour d'Emmanuel une pluie de plumes commença à virevolter tandis que cinq bruits sourds accompagnaient la chute d'autant de corps autour de lui.

"Ramasse les, petit. On a encore du boulot."

Avec une grimace mi admirative, mi dégoûtée, le jeune homme se mit au travail, enfilant des lourds gants de cuir pour se protéger. Son supérieur était encore une fine gâchette malgré son âge: chacun des chérubins avait été atteint en plein cœur ou à proximité, offrant une mort propre et qui ne gâcherait pas le goût de la viande pour leurs clients. Il se débarrassa des aiguillons, ceux qui ressemblaient tant à des petites flèches qu'ils avaient inspirés toutes les légendes sur ces prétendus "anges de l'amour", et attacha les ailes le long des corps pour ne pas risquer d'abîmer les longues rémiges, celles-ci aussi rapportant de coquettes sommes chez les collectionneurs avisés.

"Patron, yen a que cinq, mais j'ai entendu six coups de feu. Vous en avez loupé un."

"T'es sûr?"

Emmanuel ne put retenir un soupir blasé tandis qu'il empoignait les corps des cupidons pour les ramener vers la voiture.

"Trois à droite, deux à gauche, ça fait cinq. Vous en avez loupé un. Vous vieillissez, papi."

"Emmanuel, je ne vous permet pas! Je suis aéthérocryptozoologiste assermenté par l'état, mon garçon! Le meilleur qui soit!"

"Vous êtes un sorcier chasseur de vermines qui travaille pour le gouvernement, papi."

"Ma façon de le dire est plus élégante."

"C'est sûr que ça doit avoir du succès en soirée."

"Tu n'as pas idée."

André ricana, clignant de l'œil d'un air salace. "Comment crois tu que j'ai rencontré la mère de Sylvie?"

Il retourna rapidement les petits corps pour les examiner, prenant bien garde à la bouche où de fins crocs, longs et pointus comme des aiguilles, déformaient un mufle dont les coloris reprenaient ceux d'une bouche humaine. De prêt, les créatures n'avaient que bien peu de points communs avec les bébés humains auxquels la grande majorité de la population les avait assimilés au cours des siècles.

Le corps était recouvert d'une fourrure claire dont les tons oscillaient entre le blanc crémeux et le beige foncé, le museau un étrange hybride entre le singe et le cochon, avec une truffe retroussée aux narines épatées. Les oreilles étaient implantées haut sur un crâne étroit, recouvert d'une crinière bouclée, et le cou et les épaules étaient anormalement larges, supportant le poids des longues ailes qui leur permettaient de voler sur de longues distances sans se fatiguer.

"Mais tu as raison. Un d'entre eux nous a échappé. Il faudra être précautionneux maintenant, ces petites bêtes ont la rancune tenace et communiquent très bien entre elles."

"Je sais, patron."

"Et je sais que tu sais, mais ça ne m'empêchera pas de le dire. En route. Nous avons encore une longue journée devant nous."

Dans la voiture conduite par Emmanuel, le vieux chasseur feuilleta son calepin, notant le nombre et le lieu des prises. La chasse aux cupidons était un métier dangereux mais nécessaire: cela faisant maintenant une quinzaine d'années que le gouvernement avait décrété que le nombre de ces créatures croissait à un rythme beaucoup trop important, causant de nombreuses morts dans les populations humaines. Le décès particulièrement sanglant de la femme d'un ministre avait suffit à propulser l'élimination des cupidons du statut de vague projet à celui de grande cause nationale.

Très peu étaient ceux suffisamment formés et courageux pour accepter ce travail, et André était le meilleur. Chaque année, lors de cette courte période où les cupidons se reproduisaient, parasitant les humains avec leurs embryons, André traquait sans relâche les petites créatures, subventionné par l'Etat et par certains riches clients friands d'originalité. La viande de cupidon, en plus d'être exquise, était réputée pour de nombreuses propriétés: aphrodisiaque, donnant à celui qui la consommait une verve inégalée, elle était même réputée influencer la créativité et l'imagination, en faisant un met que s'arrachait les grands et les puissants de ce monde. Quelle partie de ces dires était une légende et laquelle était vraie, Emmanuel n'en avait aucune idée mais la perspective d'un rôti de cette chair douce et croustillante après une dure journée de labeur suffisait à lui faire monter l'eau à la bouche.

"Je pense que nous avons encore le temps de faire trois des lieux de rassemblement avant que la nuit tombe, Emmanuel."

Le jeune homme hocha la tête, souriant à son mentor. André était déjà occupé à recharger les fusils, à vérifier tout l'équipement avec soin. Malgré ses défauts, force était de constater que sa réputation n'était pas usurpée et Emmanuel savait qu'au terme de ses trois ans de formation aux cotés de cet homme réputé mondialement, il aurait plus appris qu'au cours des sept ans passés à l'université, même si les méthode d'enseignement du vieil homme étaient bien moins conventionnelles.

Les autres arrêts leur permirent de récupérer une petite vingtaine d'autres prises, André ayant installé des rets en deux emplacements. Les filets ne servaient qu'une fois: les cupidons capturés se déchaînaient sur les câbles, les mordant et imprégnant les fibres de leur poison. André et Emmanuel prirent des précautions supplémentaires pour les récupérer, les stockant dans des sacs étanches et scellés qu'ils brûleraient plus tard. Le soleil commençait à peine à baisser sur l'horizon lorsque André déclara que cela suffisait pour la journée. Il préférait toujours être à l'abri de murs solides la nuit, les cupidons étaient les plus actifs à ce moment là et la visibilité était trop réduite pour espérer se défendre correctement.

Cahotant et bringuebalant sur ses essieux fatigués, la vieille Jeep conduite par Emmanuel les ramena jusque chez lui, une maison dépourvue d'élégance mais non de charme, une vieille bâtisse aux murs épais couverts de lierre et de glycine.

La cuisine était une pièce bien éclairée, toute en longueur. Sylvie était déjà occupée à préparer la farce pour les rôtis et André lui fit un rapide baiser sur la joue avant de déposer les deux plus belles prises de la journée sur le plan de travail.

"Je te laisse avec Emmanuel, je vais aller préparer le reste des bestioles et appeler les clients. Montre au petit comme on prépare la viande sans la gâcher, ça aussi il doit le savoir."

Tandis qu'André descendait les escaliers jusqu'à son propre atelier, Sylvie sourit à Emmanuel. Grande et mince comme son père, elle avait heureusement reçu de sa mère des traits plus doux que ceux taillés à la serpe de son géniteur.

"Je suis désolée, Sylvie. Heu, je ne voulais pas m'imposer ainsi.."

Emmanuel était écarlate, rouge de honte. La jeune femme le regardait avec un demi sourire tandis qu'il se dandinait sur place. Il était l'élève d'André, et avait accepté dès le début de se plier à ses méthodes d'enseignement, mais la façon dont il venait de se décharger de lui et l'imposer à sa fille plongeait le jeune homme dans une gène sans fond. Il ne l'avait rencontré que trois fois auparavant après tout.

"Mon père est un peu rétrograde. Les femmes à la cuisine, ça ne le gène pas, mais il m'a aussi appris à manier un fusil quand j'avais sept ans. Il n'est pas si mauvais que ça, il est juste un peu old school dirais je. On s'habitue."

Sylvie sourit avant de se retourner et de jeter un ample tablier blanc à fleurs à Emmanuel.

"Mettez ça. La cuisine, c'est salissant."

"Sylvie, est ce que nous pourrions nous tutoyer? C'est un peu gênant là."

"Bien sûr. Bon et bien, au boulot, Emmanuel. Pour commencer, nous allons les vider. J'espère que tu n'es pas trop sensible de l'estomac."

Elle enfila une paire de gants, plus souples que ceux qu'Emmanuel et André portaient sur le terrain mais tout aussi résistants, avant d'en tendre une autre paire au jeune homme.

"Vérifie qu'ils te vont bien, et on commence juste après."


Quelques minutes plus tard, la gène initiale s'était dissipée, tandis qu'Emmanuel regardait Sylvie travailler avec une promptitude dépourvue de hâte, une élégance assurée semblable à celle de son père qu'il enviait tant.

"Et bien sûr, il faut faire extrêmement attention aux poches de poison sur les cotés, ainsi qu'aux rangées d'aiguillons immatures sous les ailes. Mais si tu passes ton couteau comme ça, le long du muscle, ils se détachent très facilement."

Un coup de poignet sec fit en effet se détacher la poche des muscles et Sylvie l'ouvrit pour montrer à Emmanuel. A l'intérieur, une demi douzaine de petits pics osseux encore en croissance s'alignaient sur une matrice de cartilage. Sous la lumière blanche de la cuisine, c'était presque beau, nacré, et semblait parfaitement inoffensif.

Du bout du doigt, Emmanuel en poussa un, notant la souplesse du pic encore immature. Lorsqu'elle était à maturité, une telle pointe pouvait percer plusieurs épaisseurs de vêtements sans même que la victime ne s'en rende compte, projetée par les muscles puissants se trouvant sous les ailes. Elle se dissolvait ensuite dans l'organisme en quelques minutes pour libérer l'oeuf. Il se remémorait son premier cours sur les bancs froids de l'université, le professeur indiquant les différentes parties sur le graphique au tableau.


"Le cupidon infecte l'humain grâce à son aiguillon, ici. La plupart du temps, l'humain ne se rend même pas compte qu'il est contaminé, la membrane aéthéroconjonctive de l'œuf étant suffisamment épaisse pour ne laisser filtrer qu'une partie minime des hormones de l'embryon. Parfois cependant la membrane est trop fine, ou le corps se rebelle contre ce parasite."

"C'est ce qui donne les Cœurs Brisés."

"Oui. Il parait que les derniers traitements sont assez efficaces mais j'en doute. L'aéther humain est une chose fragile et une rupture peut se cicatriser, mais je n'ai jamais vu personne qui s'en sortait sans séquelles."

"Et quand l'œuf s'infecte… Ou que la victime fait une réaction allergique au poison.."

La voix de Sylvie s'éteignit dans un murmure. Ils avaient tous été témoins à un moment ou à un autre des dégâts qu'une telle infection pouvait causer. Les cas les plus explosifs, les plus médiatisés, n'étaient pas forcément les pires, bien que les images amateurs d'une cheerleader déchaînée, hurlant sa rage aveugle et attaquant ses camarades à la machette au beau milieu d'un match aient fait le tour du monde. Non, les pires étaient ceux qui s'enfonçaient lentement dans la folie, modelés en de parfaites machines à tuer, discrètes et efficaces, perdues dans les cauchemars permanents causés par l'infection. Des dizaines de corps, pour le plus efficace d'entre eux, un officiant d'une église protestante qui avait été arrêté par hasard, pour une chose insignifiante. Les rumeurs voulaient que trois des policiers qui étaient allés chez lui et qui avaient découvert le charnier se trouvent encore en soins intensifs dans un hôpital psychiatrique.

"Mais tu sais déjà tout ça, après tout. Excuses moi, Sylvie."

"Non, ce n'est pas grave. Je dirais à mon père que tu connais bien tes leçons."

La jeune femme s'ébroua avant de jeter à la poubelle les sinistres déchets.

"Il y a un saladier dans le frigo, peux tu le ramener? On va farcir ces bestioles, et ensuite au four pour une petite heure."



Le repas avait été délicieux. La viande de cupidon était délicate et parfumée, la farce utilisée par Sylvie soulignant encore les saveurs du rôti. Emmanuel essayait encore de trouver à quoi elle lui faisait penser. Du faisan peut être, mais bien plus doux et fondant, avec une peau croustillant.. Du veau alors? Non plus, le veau étant bien plus fade. Avec un haussement d'épaules fataliste, le jeune homme renonça, préférant savourer les dernières bouchées de ce met bien trop rare: d'ici quelques jours, les cupidons disparaîtraient de nouveau et leur viande ne se conservait pas, de quelque façon que ce soit.

"Au lit tôt, ce soir, Emmanuel. Demain à l'aube on y retourne."

"Pas de soucis."

Sans ajouter un mot, André prit sa tasse de café et disparut de nouveau dans son atelier, révisant et préparant inlassablement son matériel de chasse. Cet aspect manique de sa personnalité lui valait de nombreuse moqueries de la part de ses pairs, mais était aussi certainement ce qui avait contribué à le maintenir en vie aussi longtemps.

Resté seul avec Sylvie, Emmanuel l'aida à débarrasser la table avant de sortir se fumer une dernière cigarette. La nuit était calme, quelques étoiles étaient visibles dans le ciel au milieu de nuages épars.

"Je peux t'en taxer une?"

Emmanuel hocha la tête avant de tendre le paquet encore à moitié rempli à Sylvie. Elle inhala profondément la première bouffée avec un soupir de satisfaction.

"Merci pour le repas."

"De rien."

Ils fumèrent en silence, cote à cote, pendant quelques minutes. Emmanuel ne savait que faire de son mégot mais Sylvie lui indiqua le cendrier posé sur un muret à cotés d'eux. Il venait de l'y jeter lorsque il l'entendit.



Un bruit froufroutant, comme des ailes de colombes.

"Sylvie, attention!"

La rafale d'aiguillons, aussi acérés que des rasoirs, les cloua tout deux sur place.
(For my english watchers: A Cupid's roast"Boss.. I am really not sure it's that good an idea after all..."
A gentle rustle of wings to his left made him jump but he only managed to catch a brief glimpse of movement from the corner of his eyes. They were fast, way too fast, and too many. Never the old man would manage. Again this sound, so similar to dove's wings beating the air, coming nearer and nearer. He could see them in his head, circling him like so many vultures around a carcass.
"Boss!"
The dull sound of the detonations echoed through the last swirls of mist and the ground vibrated under the impact of the five bodies landing around him, followed by a gentle tumbling rain of feathers.
"Pick them up, my boy. We still have a lot of things to do so hurry."
With a half disgusted, half appreciative twitch of lips, the young man set to work, putting on the heavy protective gloves that were required in such a line of work. His boss had still a great aim for his age, he had to admit that at least: each of the cupids had been s
)

EDIT: Une Daily Deviation! *_* (le bruit entendu lorsque je l'ai découvert s'approche plus ou moins du "Squueeeeepp" ) Merci, merci! Je suis extrèmement touchée et ça me motive pour continuer à persévérer! Merci! :huggle:


Et bien non, je n'aime pas la Saint Valentin. (Qui l’eut cru?)

Le fait est que ce texte est né d'une successions d'évènements pas faciles niveau moral, ayant reçu plusieurs nouvelles qui m'ont sérieusement déstabilisé, non des moindres étant que patron a fermé un de ses magasins, licenciant toute l'équipe, et que tous nos emplois sont sur la sellette. Je vous laisse imaginer l'ambiance tant au travail qu'à la maison... J'avais beau essayé de faire bonne figure, là j'échoue lamentablement à voir un "bon coté de choses".
Et du coup, cette idée qui me trottinais dans la tête s'est imposée comme une parfaite catharisis à ma morosité!

Comme d'habitude, commentaires et critiques plus que bienvenus, des bisous, parce que même si j'aime pas la St Valentin, je vous aime mes watchers chéris! :iconrose-plz:
Comments121
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Smyrker's avatar
Et bim, excellent ! Calme, tranquille, et sans bavure. Franchement c'est la classe, et la DD est d'autant plus méritée ! Félicitations choupette :heart: